Les médecins de la maison de santé Fontarabie, à Paris, se sont équipés depuis quelques mois d’objets connectés en consultation. Derrière la promesse d’un gain de temps, la réalité est pour l’instant plutôt décevante.
Dans la salle d’attente de la maison de santé Fontarabie, dans le 20e arrondissement de Paris, une affiche interroge les patients : Que pensez-vous des objets connectés en santé ? Dans le cadre de sa thèse en médecine générale, l’interne Inès Merah, qui a eu l’occasion de réaliser un stage dans l’établissement, cherche en effet à recueillir le point de vue des patients. Mais qu’en est-il de l’avis des médecins ? Les trois généralistes de l’établissement, les Drs Abrial, Azérad et Tirmarche, peuvent justement donner le leur depuis quelques mois.
À l’automne dernier, les praticiens ont décidé de s’équiper en faisant l’acquisition de plusieurs objets connectés. En cette matinée de février, pour ses consultations du jour, le Dr David Azérad a donc à sa disposition, en version connectée, un pèse-bébé, une balance adulte, un tensiomètre et un oxymètre. « Nous nous étions aussi décidés pour un ECG, mais qui finalement ne fonctionnait pas. Et nous nous étions renseignés pour un otoscope ou un thermomètre, mais pour le premier, le prix était rédhibitoire, et pour le deuxième, les modèles n’étaient pas assez précis », détaille le généraliste parisien.
Incitation financière de l’Assurance maladie
Après s’être informés, notamment auprès des cabinets de confrères qui utilisaient déjà des objets connectés, les médecins de la maison de santé ont décidé de sauter le pas pour plusieurs raisons. « Nous avons un cabinet relativement moderne, au niveau des logiciels, de l’outillage hors consultation pour la prise de rendez-vous ou le paiement par exemple. Les collègues avec qui nous en avons discuté nous ont expliqué que, pour eux, cela fonctionnait bien. Et puis il y a aussi une incitation de l’Assurance maladie, détaille le Dr Azérad, donc on s’est dit : “Allez, autant aller jusqu’au bout de la démarche”. »
En effet, dans le cadre du forfait structure et de son volet 2 sur les services aux patients, des financements sont prévus pour permettre l’équipement des médecins en objets médicaux connectés (175 euros).
Les généralistes de la maison de santé Fontarabie ont choisi de s’équiper auprès d’une entreprise qui proposait des objets et un système compatibles avec leur logiciel métier. La transmission de la donnée entre l’objet et l’ordinateur du médecin se fait via Bluetooth.
Friture sur la ligne
Avant de recevoir son premier patient de la journée, le Dr Azérad replace donc le capteur situé sous son bureau pour être sûr que le chemin se fasse bien. Pour entamer sa matinée, il reçoit Liam B. et sa maman. Au moment de le peser, cette dernière place le petit garçon sur le pèse-bébé connecté, presque déjà trop petit pour lui. « C’est davantage une balance nourrisson que bébé, elle est mal foutue », souligne le Dr Azérad. Premier essai avec bébé assis sur la balance : le poids s’affiche mais la transmission ne se fait pas. Deuxième essai, cette fois couché : pas plus de réussite. Plus tard pendant la consultation, l’expérience ne sera pas plus fructueuse avec la balance adulte.
Dans le déroulé de la consultation, l’utilisation de ces objets connectés ne fait pas de différence pour les patients. Marie-Thérèse B. ne s’est pas forcément aperçue que le saturomètre était une version connectée et Alexis R. non plus au moment de la prise de tension. Il a juste vu le chiffre s’afficher normalement.
Pour le praticien, leur usage est en revanche censé lui faire gagner du temps administratif, de retranscription. Si la transmission se fait correctement, la donnée est inscrite automatiquement dans le dossier électronique du patient. « Je pourrais gagner du temps, et puis personnellement j’ai aussi une mémoire de poisson rouge, plaisante le Dr Azérad. Quand je vois un enfant, par exemple, je le pèse au début, puis je fais le reste de l’examen et quand je reviens sur l’ordinateur, j’ai parfois oublié la mesure du début. »
L’utilisation des objets connectés est donc censée apporter un léger gain de temps au médecin. En théorie. Car en pratique, sur une matinée de consultation, la transmission s’est faite une seule fois, avec le tensiomètre. Et même là, la donnée n’a pas pu s’inscrire dans le dossier car le médecin n’était pas exactement dans la bonne fenêtre sur son ordinateur. « Ça fonctionne une fois sur cinq », évalue le Dr Azérad.
Jusqu’à trois fois le prix d’un matériel lambda
Après quelques mois d’utilisation chaotique et de nombreux allers-retours avec l’entreprise qui les a équipés pour tenter de faire marcher correctement le dispositif, les généralistes de la maison de santé tirent donc un premier bilan plutôt négatif de l’expérience.
Pourtant, le Dr Azérad, qui, de son propre aveu, est un geek et a une appétence pour les nouvelles technologies, avait envie d’y croire. « Ce n’est pas la fiabilité de la mesure qui est en question mais la fiabilité de la transmission, qui ne s’opère pas ou de façon trop épisodique ou aléatoire. L’intérêt d’avoir un outil médical connecté est de gagner du temps pour autre chose. Ici, je ne le perçois pas, et finalement la charge mentale que j’aurais pu gagner est annulée par le fait que ces outils ne sont pas fiables », estime le généraliste.
La déception est d’autant plus grande que, malgré les aides de l’Assurance maladie, cet équipement a un coût non négligeable. Chacun des trois généralistes a déboursé 192 euros pour le tensiomètre, 158 euros pour la balance adulte, 111 euros pour le pèse-bébé et 98 euros pour l’oxymètre. Soit, pour certains objets, jusqu’à trois fois plus que pour une version non connectée. À cela, il faut ajouter des frais d’installation de 200 euros, 70 euros pour la clé Bluetooth, ainsi qu’un abonnement mensuel de 18 euros pour connecter le dispositif vers le logiciel métier.
Pas de prise en compte de l’expérience médecin
Un investissement qui pourrait se justifier si l’utilité de ces outils était effective. Mais pour la maison de santé Fontarabie, ce n’est pour l’instant pas le cas. Au point que le Dr Azérad s’interroge sur l’intérêt que peut avoir l’Assurance maladie à encourager l’utilisation des objets connectés, en tout cas pour la médecine générale.
« Pour d’autres spécialités, cela est sans doute plus efficient. Mais pour ma pratique, je ne vois pas de gain qui justifie 175 euros par médecin par l’Assurance maladie, avance-t-il. D’autant plus qu’il n’y a jamais eu d’évaluation sur l’utilisation et l’acceptation, ni par les patients, ni par les médecins, de ces objets. »
La seule utilité qu’il identifie aujourd’hui concerne les cabines de téléconsultation, où l’objet connecté s’avère indispensable.
Le problème, selon lui, est que l’expérience du médecin n’a pas forcément été prise en compte non plus dans la conception de ces outils. Il en veut pour preuve la comparaison avec les dispositifs médicaux connectés de plus en plus utilisés du côté des patients. « Ce sont, peu ou prou, les mêmes que les nôtres mais ils ont des interfaces plus “user friendly”. Quand ils s’adressent au grand public, les éditeurs savent qu’ils doivent davantage penser en termes d’expérience utilisateur. Mais pour les médecins, quel que soit l’outil numérique que nous allons avoir, que ce soit les logiciels ou le reste, l’utilisabilité semble le dernier critère pris en compte », estime le généraliste parisien.
À en croire l’expérience de cette maison de santé francilienne, l’ère du cabinet connecté, si elle est annoncée, se heurte aujourd’hui à une application pratique trop aléatoire pour devenir une réalité.