Vous doutez-vous ce qu’on entend par érotomane ? Eh bien, l’érotomane est… un sentimental, mais un sentimental chez qui « la sentimentalité est poussée à un degré extrême, qui indique nettement que nous sommes en présence non pas seulement d’un amoureux passionné, mais d’un véritable malade », explique le Dr Portemer dans son étude médico-légale consacrée aux érotomanes.
Cet amour morbide était connu des anciens ; les philosophes, les poètes et les médecins de tous âges l’ont décrit ou étudié. Il suffit de rappeler les aventures immortelles d’Orphée et Eurydice, d’Héloïse et Abélard ; et les extravagances des chevaliers de la Table ronde, du fameux Don Quichotte, prototype de l’érotomane que son délire pousse à toutes les excentricités.
Au XIVe siècle a sévi, en Poitou, une véritable épidémie d’érotomanie ; les Gallois et Galloises mettaient leur gloire à devenir les martyrs de l’amour ; ils se livraient aux aberrations les plus étranges, errant presque nus sur les montagnes couvertes de neige et, à l’époque de la canicule, se revêtant de fourrures faites de toisons d’agneaux.
L’érotomanie peut affecter les formes les plus variées ; c’est un érotomane que Ruy Blas, qui déclare son amour, en les termes que l’on sait, à la reine d’Espagne ; un érotomane, le page qui tombe amoureux de Marie Stuart et que la « cruelle dame » envoie à l’échafaud ;
Mais ce n’est pas dans la légende et le roman que se rencontrent les érotomanes ; on les coudoie, à chaque instant, dans la vie de tous les jours. Souvenez-vous du cas d’Augustine Pépé, rapporté par M. Paul Garnier ; encore peut-on considérer cette dernière comme une passionnée vulgaire ; mais combien d’autres hystéro-nymphomanes, amoureuses de prêtres, qu’attire sans doute – si les relations de l’olfaction et de l’appareil génital sont aussi manifestes que nous le pensons – l’odeur de chasteté ou de sainteté (ce qui doit être d’essence plus rare).
L’érotomanie est parfois une maladie – ne dit-on pas le « mal d’amour » - aux symptômes nettement accusés et qui comportent un pronostic et une thérapeutique appropriés. N’est-ce pas Hippocrate qui écrit que Perdiccas, fils du roi de Macédoine, Amyntas, mourut d’amour pour Phyla, la concubine de son père ? N’est-ce pas Erasistrate qui reconnut qu’Antiochus Soter était amoureux – infandum regina jubes !… - de sa propre belle-mère, Stratonice ! N’est-ce pas, enfin, un médecin, Jacques Ferrand, qui a copieusement disserté sur « la maladie d’amour ou mélancolie érotique » ?
L’érotomanie est, au résumé, un syndrome morbide, qu’il est malaisé de définir trop rigoureusement ; autant chercher à dénommer les flèches contenues dans le carquois d’Eros, celui dont Voltaire a pu dire :
« Qui que tu sois, voici ton maître ;
Il l’est, le fut ou le doit être ».
(« La Chronique médicale », mars 1902)
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