« Il n’existe aujourd’hui aucun argument médical pour ne pas traiter tous les patients séropositifs vis-à-vis du virus de l’hépatite C ». Cette affirmation qui sonne comme une revendication d’association de patients, sort pourtant de la bouche du Pr Victor de Ledinghen, secrétaire général de l’AFEF (Association Française pour l’étude du Foie) et coordonnateur des toutes dernières recommandations de cette société savante d’hépatologie.
Des critères de traitement obsolètes
Deux ans après la mise à disposition en France des derniers traitements, cette réflexion se fonde sur les données d’efficacité et de tolérance des nouveaux antiviraux d’action directe (AAD) : « Avec un à deux comprimés par jour pendant 12 semaines, les malades sont guéris plus de neuf fois sur dix avec une tolérance thérapeutique exceptionnelle », observe le spécialiste bordelais. Les critères d’indication de traitement, tels que définis par la HAS dans un avis de juin 2014, uniquement liés à la sévérité de la fibrose hépatique sont désormais obsolètes. L’AFEF juge ainsi tout à fait crédible de viser une éradication du virus à l’horizon 2020. « Le progrès thérapeutique est tellement rapide que nous avons dû actualiser nos précédents avis, pourtant récents puisqu’ils datent de juin dernier », explique le Pr de Ledinghen.
Les premiers traitements de l’hépatite C chronique reposaient sur deux molécules : l’interféron pégylé et la ribavirine. Leur association permettait, au terme d’un traitement de 6 à 12 mois, d’obtenir une réponse virologique prolongée dans 33 à 70 % des cas selon le génotype mais au prix d’effets secondaires invalidants et responsables d’une mauvaise observance thérapeutique. « Nous n’aurions jamais pu formuler nos recommandations actuelles avec ces molécules, assure le Pr de Ledinghen. Le bénéfice/risque des nouveaux antiviraux est tellement favorable que les réserver aux seuls patients avec fibrose devient médicalement injustifié. » En 2011, les premiers antiviraux d’action directe (AAD) – inhibiteurs de la protéase du VHC – ont permis d’augmenter de manière significative le pourcentage d’éradication virale, en association avec l’interféron et la ribavirine, mais avec un profil de tolérance médiocre et l’émergence de résistances par mutation.
L'arrivée des nouveaux AAD, une étape décisive
Une étape décisive a été franchie en 2014 avec l’arrivée de nouveaux AAD : les inhibiteurs de protéase (simeprevir, pariteprevir), les inhibiteurs du complexe de réplication NS5A (daclatasvir, ledipasvir, ombitasvir) et les inhibiteurs de la polymérase NS5B (sofosbuvir, dasabuvir). Soit sept nouvelles molécules en à peine deux ans qui, en association, permettent le plus souvent en 12 semaines, parfois même 8 semaines, une éradication virale dans 95 % des cas, y compris chez les sujets en échec de traitement par les molécules classiques, chez les cirrhotiques ou présentant une récidive après transplantation, et chez les sujets co-infectés par le VIH.
La « guérison » virologique est généralement associée à une amélioration clinique et une lente régression des lésions hépatiques chez les malades sans cirrhose. Alors, l’AFEF n’y va pas avec le dos de la cuillère : tous les patients infectés y ont droit. La quasi-seule restriction qu’elle apporte aux indications médicales de ces AAD concerne les patients à durée de vie restreinte.
Au-delà de l’espoir d’éradication de l’infection à VHC, soigner les patients avant le stade de fibrose permet d’améliorer considérablement leur qualité de vie et les comorbidités.
Le prix des traitements, facteur limitant
Le facteur limitant la prescription de ces molécules reste leur coût, estimé entre 40 000 et 50 000 euros. « D’ores et déjà, le prix de certaines molécules est en négociation avec le CEPS, explique le Pr de Ledinghen. Et l’arrivée de molécules concurrentes va encore faire baisser le coût. » L’enjeu est de taille. Si 26 000 personnes ont déjà été traitées en deux ans, 40 000 personnes restent à traiter. Et on estime à 75 000 le nombre de séropositifs qui s’ignorent.
La balle est résolument dans le camp des pouvoirs publics qui auront éthiquement du mal à maintenir le statu quo devant ces recommandations d’experts. Et la prochaine présidente de la HAS aura certainement, sur le haut de la pile des dossiers à traiter, celui de l’évaluation médico-économique de l’élargissement des indications des AAD.
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