Le décès dimanche dernier d’un jeune footballeur suédois de 29 ans en plein match, le rappelle cruellement : lors de la rédaction d’un certificat de non-contre-indication à la pratique du sport chez un jeune sportif, la prévention de la mort subite pendant l’effort reste une priorité. Pour autant, faut-il faire un électrocardiogramme pour tous les adolescents ou jeunes adultes qui consultent pour un certificat de non-contre-indication à la pratique du sport en compétition ? En France la question reste débattue. Et bien que recommandé par la Société Française de Cardiologie (SFC) depuis 2009, cet ECG « préventif » systématique peine encore à s’imposer. Avec, notamment, selon un travail de thèse récent conduit par le Dr Florence Grand sous la direction du Dr Jacques Bouchaud (médecin généraliste à Echirolles) moins d’un généraliste sur cinq suivant les préconisations de la SFC. .
Les données de la littérature plaident pourtant plutôt en faveur de l’ECG comme cette étude suisse présentée à Munich lors du récent congrès de l’European Society of Cardiology (ESC), qui apporte de nouveaux arguments médico-économiques en faveur de l’ECG.
Dans ce travail, la réalisation d’un électrocardiogramme, en sus de l’interrogatoire et de l’examen clinique, permet, en effet, de détecter d’avantage d’anomalies cardiaques méconnues que la clinique seule sans peser trop lourd sur le système de soins.
Le modèle italien
Dans cette étude, sur 1 070 athlètes ayant bénéficié d’un dépistage basé sur l’ECG, 6,3 % avaient des anomalies nécessitant des explorations complémentaires avec, au final, un diagnostic de pathologie cardiaque dans 2 % des cas (contre 0,8 % sans ECG). Le coût global du dépistage avec ECG a été estimé à 115 euros par patient. Pour les auteurs, ces données démontrent que «?le dépistage avec ECG chez les jeunes athlètes est faisable et induit au final assez peu d'examens complémentaires d’où un coût relativement bas?».
Elles confortent ainsi la stratégie italienne où un dépistage avec interrogatoire, examen clinique et ECG systématisé est obligatoire depuis la fin des années 1970, pour tout certificat de sport après 12 ans. Cette attitude a permis une réduction significative de l’incidence des morts subites chez les jeunes athlètes transalpins. Une étude rétrospective non randomisée rapporte une diminution de 89 % de l’incidence des accidents cardiaques et des morts subites dans cette population.
Ce modèle italien a conduit depuis, plusieurs sociétés savantes à recommander un large usage de l’ECG lors de la visite de non- contre-indication à la pratique sportive (VNCI). À l’image de la SFC qui préconise depuis 2009 la réalisation d’un tracé de repos pour tout demandeur de licence pour la pratique d’un sport en compétition en plus de l’interrogatoire et de l’examen physique. La recommandation vaut dès l’âge de 12 ans, lors de la délivrance de la première licence, puis tous les trois ans jusqu’à 20 ans, et tous les
5 ans entre 20 et 35 ans.
Manque de temps
Malgré cela, encore peu de praticiens, et notamment peu de généralistes, s’adonnent à l’exercice dans l’Hexagone. Dans une thèse de médecine générale parue en 2010, seulement 2 % d’entre eux indiquaient réaliser de façon systématique cet ECG. Le travail de thèse conduit par le Dr Florence Grand en 2012 est un peu plus optimiste avec près de 52 % des médecins généralistes disant connaître la recommandation de la SFC, 17 % indiquant la suivre (ECG systématique) et 56 % affirmant recourir de façon occasionnelle à l’ECG.
Dans cette thèse, la grande majorité des praticiens (91,5 %) estiment pourtant ce dépistage « absolument ou probablement » utile, mais près d’un quart le jugent difficilement faisable. Parmi les freins cités par les médecins, le manque de temps arrive au premier plan. « Faire et interpréter un ECG demande du temps et l’examen de non- contre-indication au sport ne comporte pas que le versant cardiaque, commente l’un des médecins interrogés. En tant que médecin généraliste nous avons aussi d’autres points à vérifier. C’est pourquoi, le facteur temps sera aussi pour ma part en tout cas un gros facteur limitant. » Une proportion non négligeable de praticiens s’abstient aussi faute de se sentir compétent pour l’interprétation du tracé. Le coût de l’ECG – normalement à la charge du patient tout comme la visite de non- contre-indication – est aussi cité par 7?% des médecins. Enfin, même si jusqu’à présent les mises en cause de MG liées à la rédaction de certificats médicaux restent extrêmement rares en France, « certains médecins renoncent aussi à l’ECG par peur du médico-légal », souligne le Dr Bouchaud. À l’image de ce généraliste estimant « médico-légalement plus grave de faire un ECG et de mal l’interpréter que de ne pas le faire ».
L’utopie du dépistage ciblé
Dans ce contexte, beaucoup de praticiens tentent de sélectionner les sujets à risque de mort subite afin de leur réserver l’ECG. Mais existe-t-il vraiment des critères permettant un ciblage pertinent ? « Malheureusement non », répond le Pr Hervé Douard, co-auteur des recommandations de la SFC et cardiologue à Bordeaux, car « la plupart des pathologies qui tuent ne sont dépistables que sur l’ECG ». Globalement, il est admis qu’un dépistage avec ECG permet de détecter 60 % des pathologies cardiovasculaires potentiellement dangereuses pour le jeune sportif contre seulement 3 à 6 % avec la clinique seule. Et s’il existe des cas où l’ECG est incontournable (antécédents familiaux de morts subites, antécédents personnels de signes d’intolérance à l’effort, anomalies cliniques, etc.), il semble beaucoup plus difficile de dégager des situations où l’on pourrait s’en affranchir.
À ce titre, la normalité du test de Ruffier-Dickson n’a aucune valeur. « Ce test, qui ne reflète que la forme physique, est d’ailleurs complètement obsolète », précise le Pr Douard. De même, une pratique sportive modérée ne rime pas forcément avec absence de risque et il paraît impossible de dégager un seuil en dessous duquel la pratique sportive serait sans risque. Même, lors d’un renouvellement de certificat, l’existence d’un ancien tracé normal n’autorise pas toujours à faire l’impasse sur l’ECG « car beaucoup de pathologies ont un pic d’expression à l’adolescence, voire chez le jeune adulte » et peuvent échapper à un premier ECG. D’autres pathologies peuvent être inconstantes et n’avoir d’expression électrique que dans certaines situations. Par exemple, la prise d’antibiotiques peut révéler un QT long resté silencieux jusque-là.
Ni obligatoire ni remboursé
Alors, pas de salut sans ECG systématiques et répétés ? Pas forcément, tempère le Pr Douard qui avoue « avoir un peu changé sa position depuis la rédaction de la recommandation et être désormais moins virulent ». Et de reconnaître qu’avec «?seulement » 12 à 15 cas par an, la mort subite du jeune athlète ne constitue pas « un problème de santé majeur ». Un argument qui n’a pas échappé aux pouvoirs publics qui se sont bien gardés jusqu’à présent d’entériner la recommandation de la SFC. Et laisse le contenu de l’examen de non-contre-indication au sport au libre arbitre du praticien…et à la charge du sportif !
Selon le code du sport, la délivrance d'un certificat médical mentionnant l'absence de contre-indication à la pratique sportive est obligatoire pour « la pratique en compétition d'une discipline sportive, l'obtention ou le renouvellement d'une licence sportive permettant la participation aux compétitions organisées par la fédération sportive qui la délivre ainsi que pour l'obtention d'une première licence sportive ne permettant pas la participation aux compétitions?». Mais pour les sportifs amateurs, les examens à réaliser dans ce cadre ne sont pas spécifiés. En cas de sport de loisir ou réaliser dans le cadre de l’école aucun certificat n’est préconisé. Le code de la Sécurité sociale précise quand à lui que la VNCI n’est pas remboursée.
Sur le blog de Luc Périno
Science brutalisée
Les patients les plus fragiles n’ont pas tous repris leur suivi
Édito
Gare au contrecoup
Sur le blog de Luc Périno
Mourir à domicile