Aujourd’hui sous les feux de l’actualité, les communautés professionnelles territoriales de santé soufflent leur septième bougie. Présentation du fonctionnement d’une structure qui, à la fois, enthousiasme et divise la profession.
C’est la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé qui consacre la naissance des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles sont définies comme « l’association de professionnels de santé du premier et second recours, et d’acteurs sociaux et médico-sociaux, sur la base d’un projet de santé, pour une meilleure organisation du parcours des patients ».
Aujourd’hui, ces entités font l’objet de toutes les attentions réglementaires et législatives en tant que modèle d’exercice coordonné. Entraînant un flot de polémiques parmi les médecins et les députés. Le cœur du réacteur ? L’actuelle proposition de loi portée par la députée Stéphanie Rist. Le texte, qui, dans l’ensemble, est passé devant un premier examen de l’Assemblée nationale, s’est tout de même vu modifié par les sénateurs, qui ont notamment exclu les CPTS des structures d’exercice coordonné, ce dernier permettant par exemple, dans certaines situations, un accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA). Mais la navette parlementaire n’est pas terminée…
Toujours est-il qu’au tout début de l’année 2023, sept ans après la promulgation du texte législatif annonçant leur création, la Fédération des CPTS (FCPTS) recensait 781 CPTS sur l’ensemble du territoire. À des stades d’avancement divers. Dans le détail, 192 étaient en phase de préprojet. 159 étaient en phase de construction de leur projet de santé et avaient vu leur lettre d’intention validée par l’ARS. 42 CPTS, au projet de santé déjà validé, étaient en cours de négociations de l’Accord cadre interprofessionnel (ACI). Enfin, le nombre de contrats ACI-CPTS signés était de 388. Mais concrètement, une CPTS, comment ça marche ?
Deux ans entre la prise de décision et le feu vert administratif
« Le processus de création est assez simple, du moins au début », explique le Dr Nicolas Homehr, généraliste installé à Lherm (Haute-Garonne) et vice-président de la FCPTS. Première condition requise, le projet doit nécessairement émaner de praticiens libéraux. Ce n’est qu’ensuite que des acteurs du monde hospitalier ou médico-social peuvent rejoindre la CPTS. En règle générale, il s’agit d’un petit noyau de médecins, de pharmaciens ou d’infirmiers qui se connaissent à travers les patients qu’ils suivent.
Ce petit groupe pluriprofessionnel va ensuite essayer d’élargir le cercle en contactant les cabinets des communes alentour et les cliniques voisines pour les convaincre de participer à ce nouveau projet de santé territorial. « Cette phase nécessite, déjà, beaucoup de réunions, puisqu’il faut établir un diagnostic de l’existant pour respecter les quatre missions socles impératives dévolues aux CPTS : l’amélioration de l’accès aux soins, l’organisation de parcours de soins associant plusieurs professionnels de santé, le développement d’actions territoriales de prévention et, la dernière en date, la participation à la réponse aux crises sanitaires », détaille le Dr Homehr. Cette première phase correspond à la création de la lettre d’intention, qui doit être présentée à l’agence régionale de santé. À noter que les porteurs du projet sont accompagnés par leur URPS dans son élaboration.
Une fois la lettre d’intention validée (phase 2), après beaucoup d’allers-retours avec l’ARS, les créateurs de la nouvelle communauté professionnelle territoriale de santé passent à la construction du « projet de santé » (phase 3). « Il s’agit ici de définir et d’affiner les indicateurs de santé de la population auxquels la CPTS entend répondre. Ils sont conclus en accord avec les caisses primaires d’assurance maladie et l’ARS, et sont établis en fonction des besoins sanitaires territoriaux. Enfin arrive la dernière phase, la conclusion de l’ACI avec la Sécurité sociale et l’ARS. C’est cette dernière qui va délivrer le financement à la CPTS », poursuit le Dr Homehr, qui estime qu’il faut compter entre dix-huit mois et deux ans pour accomplir tout ce parcours.
Un financement en fonction de la taille de la structure
Le financement alloué dépend de la taille de la CPTS. Il en existe quatre, selon que la CPTS couvre un territoire de 40 000, 80 000, 175 000 habitants, puis au-delà. Selon la taille donc, le financement initial va de 87 500 euros à 157 500 euros. Quant aux missions socles et celles optionnelles retenues, le total cumulé peut atteindre 287 500 euros (pour une CPTS de taille 1) à 580 000 euros (taille 4) par an. Le financement comprend une partie fixe et une partie variable. « La première année, on ne touche que la part fixe, et à partir de la deuxième, la part variable se détermine en fonction des “résultats” du médecin par rapport aux objectifs qu’il devait remplir », détaille Nicolas Homehr. Ainsi, un généraliste qui aura atteint 80 % de ses objectifs touchera 80 % de sa part variable.
Et concrètement, dans la pratique quotidienne, quel est l’intérêt de faire partie d’une CPTS ? Les réponses des praticiens interrogés sont unanimes. En substance, tous nous ont cité l’intérêt du pluripro, de l’exercice coordonné et la possibilité de bénéficier de financement ad hoc pour mener des actions de santé publique et de prévention à destination des patients. Avec, comme revers de la médaille, le temps qui doit être consacré à des réunions multiples, même si un forfait spécifique est censé compenser la perte financière occasionnée.
Les CPTS, un dispositif qui ne fait pas l’unanimité
Pour autant, tout le monde ne voit pas d’un aussi bon œil le développement de ces CPTS comme modèle de réponse aux difficultés d’accès aux soins. Le Conseil national de l’Ordre des médecins en tête. Notamment dans les possibilités de délégation de tâches au sein des CPTS : les protocoles de coopération. « Elles sont extrêmement encadrées et représentent à peine 1 % des actes », répond le Dr Homehr.
À l’Union française pour une médecine libre (UFML-S), c’est la philosophie même des CPTS qui inquiète. « Certes, elles permettent aux soignants de devenir des acteurs privilégiés de leur territoire, mais ces prérogatives vont de pair avec une nouvelle obligation populationnelle. Les ACI, soumis à des critères et objectifs définis par les Cpam, augmentent encore le poids et la mainmise de l’État à l’encontre de la médecine libérale », estime l’UFML-S. Qui craint de voir se développer un système de soins dans lequel les médecins n’auront d’autre choix que de devoir tenir leurs objectifs pour espérer toucher les subventions prévues…
Reste que sur le terrain, ce débat ne semble pas passionner outre mesure certains élus qui évoluent dans les déserts médicaux. Comme dans la Nièvre, où le maire de Nevers, Denis Thuriot, a pris une initiative originale en début d’année pour répondre à la pénurie de médecins dans son département : acheminer par avion des médecins depuis Dijon une fois par semaine afin qu’ils puissent assurer des consultations auprès des patients de son territoire. « Que les gens de la communauté du soin se réunissent pour travailler mieux ensemble, c’est évidemment une bonne chose. Mais pour moi, la CPTS n’est pas une solution miracle et ne répond pas à la nécessité de la redensification sur nos territoires en personnel soignant », diagnostique l’élu. Dont acte.