Du vitiligo aux carcinomes cutanés en passant par le vieillissement de la peau, les Journées dermatologiques de Paris (JDP, 29 novembre-3 décembre) ont souligné à la fois les progrès réalisés dans cette spécialité – grâce aux traitements ciblés – et le poids des pathologies dermatologiques sur la qualité de vie des patients. Dans le vitiligo, si les possibilités de repigmentation sont réelles, de nombreuses idées fausses pénalisent encore les personnes touchées.
Au cours de ces dernières années, le vitiligo a bénéficié de réels progrès, avec une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques sous-jacents et le développement de nouveaux traitements. Mais comme l’a souligné le Pr Thierry Passeron (Nice) à l’occasion des Journées dermatologiques de Paris, la diffusion des connaissances n’a pas forcément suivi. D’où la persistance d’idées fausses, déplore le spécialiste, y compris parmi les soignants.
Avec une prévalence d’1,3 % en Europe, le vitiligo est une pathologie « finalement assez fréquente », souligne le dermatologue. Elle survient le plus souvent avant 30 ans (80 %), voire avant 20 ans (50 %). Bien que bénigne, « ce n’est pas une pathologie anodine, car elle a souvent un fort retentissement sur la qualité de vie, avec un impact sur la vie professionnelle, sociale, sexuelle, plus important que celui par exemple de l’hypertension ou du diabète », illustre le Pr Passeron. Selon différentes enquêtes, l’impact sur la qualité de vie serait même « équivalent à celui d’une dépression, car il s’agit d’une maladie stigmatisante, en particulier quand les lésions apparaissent sur le visage, les mains, les organes génitaux ».
Une progression loin d’être inéluctable
Or, selon une étude européenne à paraître prochainement, en France, « 70 % des médecins connaissent mal cette maladie et affirment au patient qu’il n’y a rien à faire », rapporte le Pr Passeron. Avec, en toile de fond, l’idée d’une pathologie « incurable » à la progression quasi inéluctable.
En réalité, si la maladie progresse généralement par poussées, « l’évolution est variable d’une personne à l’autre, avec des formes stables qui restent localisées, sans évoluer », nuance le dermatologue. De plus, même si, pour le moment, en France, aucune molécule n’a l’AMM dans cette indication, « cela fait plus de 15 ans qu’il existe des traitements efficaces contre le vitiligo », insiste-t-il.
Aujourd’hui, la prise en charge repose en première intention sur les dermocorticoïdes locaux ou le tacrolimus topique, particulièrement indiqué sur le visage, du fait d’un risque d’effets secondaires (acné, dermatoporose, taches) avec les dermocorticoïdes. « Ces traitements permettent une repigmentation pour 70 à 80 % des patients présentant une atteinte au niveau du visage. » Au niveau du corps, les chances de repigmentation oscillent entre 27 et 50 % selon la localisation des lésions, le traitement étant beaucoup moins efficace au niveau des mains et des pieds. Dans tous les cas, les médicaments doivent être prolongés suffisamment longtemps, la repigmentation des plaques de vitiligo prenant généralement entre 6 et 24 mois.
Les traitements actuels permettent une repigmentation pour 70 à 80 % des patients présentant une atteinte au niveau du visage - Pr Thierry Passeron, dermatologue (Nice)
Si le vitiligo est actif et s’étend rapidement, le traitement peut faire appel à des petites doses de corticoïdes par voie orale, associées à des UV pendant 3 à 6 mois, ce qui permet de bloquer les poussées dans 90 % des cas.
Récemment, la meilleure connaissance de la physiopathologie de la maladie a permis le développement de traitements ciblés, dont un anti-JAK topique qui pourrait être bientôt disponible en France.
Une maladie auto-immune, ni psychosomatique ni héréditaire
Souvent considéré comme une affection psychosomatique, « le vitiligo est en fait une maladie auto-immune polygénétique multifactorielle », rappelle le Pr Passeron.
Et si les poussées sont effectivement favorisées par le stress au sens médical du terme (stress psychologique, stress chirurgical, modifications hormonales, infections virales ou bactériennes), la maladie en elle-même répond à un processus immunitaire (avec autodestruction des mélanocytes) désormais bien décrit. Aujourd’hui, « on a plus d’arguments pour dire que le vitiligo est une maladie auto-immune que pour la dysthyroïdie d’Hashimoto », souligne le spécialiste. Schématiquement, un facteur environnemental « stressant » vient activer le système immunitaire inné, qui lui-même stimule le système adaptatif avec notamment la mise en branle de la voie de signalisation IFN-gamma/JAK/STAT.
Le tout sur un terrain génétiquement favorable. Plusieurs variations alléliques peuvent en effet prédisposer au développement de la maladie. Pour autant, « le vitiligo n’est pas une pathologie héréditaire, insiste le spécialiste, et l’on ne transmet pas la maladie mais une prédisposition ». Pour une personne ayant un parent touché, le risque de développer à son tour un vitiligo est multiplié par trois ou quatre par rapport à la population générale, avec un risque absolu de 5 à 8 %. « Ce qui laisse plus de 90 % de chance de ne pas développer la maladie », souligne le dermatologue.
Le soleil banni à tort
Autre croyance erronée, selon le Pr Passeron : « Beaucoup de personnes pensent que le fait de souffrir d’un vitiligo doit impérativement inciter à se protéger du soleil, car le risque de cancer serait augmenté ». En fait, « cela est démontré depuis 2014 : les gènes qui prédisposent au vitiligo sont aussi ceux qui protègent contre le mélanome ». Les personnes concernées ont donc en réalité trois fois moins de risque de mélanomes que la population générale et un risque moindre de carcinomes cutanés. Une étude coréenne a même montré que 500 séances d’UVB n’augmentaient pas le risque de cancer.
Les gènes qui prédisposent au vitiligo sont aussi ceux qui protègent contre le mélanome - Pr Thierry Passeron, dermatologue (Nice)
À l’inverse, « le soleil, les ultraviolets sont indispensables à la bonne repigmentation de la peau, en particulier pour les patients recevant des traitements », car cela permet le recrutement de jeunes mélanocytes.
Bientôt des traitements ciblés spécifiques ?
Au cours de ces dernières années, la connaissance de la physiopathologie du vitiligo a permis de développer des traitements ciblés. Alors que le rôle de l’interféron-γ dans la pathogenèse de la maladie et l’implication des Janus kinases (JAK) dans la destruction des mélanocytes sont maintenant bien établis, le traitement ciblé le plus avancé est un anti-JAK topique : le ruxolitinib.
Ce dernier a obtenu une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis en juillet 2022 et une AMM européenne est espérée prochainement. Formulé sous forme de crème, il a montré son efficacité dans deux essais cliniques de phase 3, publiés dans le New England Journal of Medicine. Ces études internationales ont évalué l’effet de ce médicament chez des adultes et des enfants de plus de 12 ans atteints de vitiligo.
« Les résultats montrent d’abord une bonne tolérance (effets indésirables essentiellement à type d’acné et léger prurit local dans 5 à 6 % des cas, pas de réactions sévères aux sites d’applications ni d’effets secondaires graves), avec une très bonne efficacité sur le visage et une bonne efficacité sur le corps. Il est en revanche plus décevant sur les lésions situées au niveau des mains et les pieds », résume le Pr Passeron. « Dès que le ruxolitinib sera autorisé en France, il devrait devenir la première ligne de traitement contre le vitiligo, anticipe-t-il, au mieux associé aux UV, chez les enfants et les adultes, en particulier pour les formes les moins étendues ».
Des essais sont aussi en cours avec des anti-JAK oraux, dans les formes très actives ou étendues de la maladie. Les résultats sont attendus dans quelques mois. Des molécules ciblant d’autres voies sont aussi en cours d’évaluation.
En parallèle, d’autres approches thérapeutiques font aussi l’objet de recherches actives. « Par exemple, nous avons actuellement en cours dans notre service, à Nice ainsi qu’à Bordeaux, l’essai Erase Vitiligo qui vise à traiter très activement le vitiligo, dès l’apparition des premières plaques, avec des corticoïdes par voie orale associés à des UVB. L’objectif est de vérifier si une telle stratégie permet de ralentir l’évolution de la maladie. » Une autre étude menée à Nice « évaluera pour les zones les plus difficiles (dos de la main, coudes, genoux, poignets) l’efficacité de la greffe de suspension épidermique, associée aux anti-JAK topiques ».