C’était l’événement du Congrès de pneumologie de langue française (CPLF, 27 au 29 janvier 2023, Marseille). Les nouvelles recommandations sur la toux chronique la définissent comme une pathologie à part entière, formalisent un algorithme diagnostique et valident le concept de TOCRI pour les « toux chroniques réfractaires ou inexpliquées ». Également très remarqués lors de ce congrès, les résultats de l’étude KBP 2020 qui objectivent une nette amélioration du pronostic des cancers bronchopulmonaires.
La toux chronique est un problème de santé publique auquel sont fréquemment confrontés les médecins. Sa prévalence au niveau mondial serait de 9,6 % mais en France, une étude parue en 2021 l’évalue plutôt à 4,8 % de la population adulte, avec un sex-ratio de deux femmes pour un homme.
Pour aider les praticiens à prendre en charge les patients, les sociétés savantes de pneumologie, d’ORL, de gastro-entérologie et de phoniatrie ont élaboré des recommandations conjointes sur le sujet. Alors que les précédentes dataient de près de vingt ans, ces nouvelles guidelines françaises étaient très attendues.
Présentées en avant-première à Marseille, elles entérinent le concept de toux chronique comme pathologie à part entière avec des phénotypes, des causes et une prise en charge propre. Car « seule une modification de la vision de la toux chronique, au-delà du symptôme, permettra une reconnaissance de la pathologie et du handicap par le corps médical, améliorant ainsi la prise en charge des patients », souligne le Pr Laurent Guilleminault (pneumologue, CHU de Toulouse), qui a coordonné ce travail.
Alors que la toux aiguë post-infection virale dure moins de trois semaines (et 42 jours en moyenne pour une coqueluche), la toux chronique est définie (arbitrairement) par une durée supérieure ou égale à huit semaines, sans résolution spontanée et nécessitant une prise en charge spécifique.
Une démarche minimale bien codifiée
À ce titre, les nouvelles recommandations cadrent la démarche « minimale » de première intention face à une toux chronique.
Toute prise en charge devrait débuter par une évaluation de la toux, affirment les experts, avec une estimation de sa sévérité sur une échelle EVA, la recherche et le traitement de complications éventuelles (troubles du sommeil, vomissements, céphalées, fatigue, fractures costales, incontinence urinaire chez 50 % des tousseurs chroniques, handicap social chez 80 % d’entre eux, etc.) ainsi que la réalisation d’une radiographie de thorax. À l’interrogatoire, le distinguo avec le hemmage n’est pas anecdotique car, souvent, ce raclement de gorge est nommé « toux » par les patients.
Après avoir écarté les signes d’alarme évocateurs d’une pathologie respiratoire chronique grave, cardiaque ou néoplasique (une toux est observée chez 23 à 37 % des patients atteints de cancers tous sites confondus), l’arrêt du tabagisme (et même de l’e-cigarette, qui peut déclencher une toux chronique) et l’éviction des traitements tussigènes (IEC principalement) doivent être testés sur quatre semaines.
Sans résultat, les trois causes les plus fréquentes de toux chronique (rhinosinusite, RGO et asthme) doivent être recherchées.
Le diagnostic de rhinosinusite repose sur l’interrogatoire (obstruction nasale ou rhinorrhée antérieure ou postérieure +/- associées à une pesanteur faciale et/ou une réduction partielle ou totale de l’odorat > 12 semaines), l’examen physique et une nasofibroscopie. Un traitement d’épreuve associant lavage des fosses nasales au sérum physiologique et corticothérapie nasale peut être instauré. Dans ce contexte de toux chronique des voies aériennes supérieures (Stovas), les antihistaminiques ne sont pas recommandés (sauf rhinite allergique).
Une origine génétique ?
Récemment, des études ont montré que la prévalence d’une toux chronique chez des patients souffrant du Canvas (Cerebellar Ataxia, Neuropathy, Vestibular Areflexia Syndrome), une maladie neurologique associée à une « expansion répétée du gène RFC1 » (ER-RFC1), était très élevée. Une étude prospective a été menée entre décembre 2021 et juin 2022 dans deux CHU français chez 68 patients diagnostiqués « TOCRI ». 25 % d’entre eux présentaient au moins une ER-RFC1 bi-ou mono-allélique. C’est la première démonstration qu’il peut exister une origine génétique de la toux chez certains patients ayant une toux chronique réfractaire, en l’occurrence ceux ayant une expansion répétée du gène RFC1. La toux précède les symptômes neurologiques de plusieurs dizaines d’années.
La recherche d’un RGO est clinique. En cas de symptomatologie évocatrice (pyrosis, régurgitations), un traitement d'épreuve par IPP est préconisé. En revanche, « en l’absence de signes cliniques de reflux, le RGO ne doit pas être considéré comme une cause habituelle de toux chronique et il n’y a pas lieu de prescrire des IPP », insiste le Pr Guilleminault.
La possibilité d’un asthme ou d’une toux équivalent d’asthme n’est pas à négliger, 24 à 32 % des patients asthmatiques étant des tousseurs chroniques. Dans cette hypothèse, l’interrogatoire et l’examen physique seront complétés par une spirométrie (avec test de réversibilité aux bronchodilatateurs) et une mesure de la fraction exhalée du monoxyde d’azote, pour orienter la mise en route d’une corticothérapie inhalée.
Les experts soulignent la possibilité de toux bien particulières, comme le syndrome de la toux chronique par excès de sensibilité, dont le traitement est basé sur des neuromodulateurs associés à une rééducation orthophonique ou à de la kinésithérapie, ou encore le syndrome de somatisation de la toux (ex-toux « psychogène »), qui s’intègre dans un contexte de pathologie psychiatrique et relève d’une prise en charge de psychothérapie.
Une origine laryngée fréquente mais difficile à explorer
Si aucune pathologie évidente génératrice de toux ne ressort, différentes explorations complémentaires sont préconisées en seconde intention. Alors que l’exploration fonctionnelle digestive (pHmétrie-impédancemétrie et/ou manométrie œsophagienne, hors traitement) sera à réaliser en cas de suspicion d’origine digestive de la toux, la tomodensitométrie thoracique sera nécessaire en cas de suspicion de pathologies respiratoires, ainsi que l’endoscopie bronchique, la pléthysmographie et/ou (si possible) la mesure de la capacité de diffusion du monoxyde de carbone (DLCO). La tomodensitométrie des sinus (cone beam) peut éventuellement être judicieuse si l’on suspecte une complication infectieuse ou tumorale, lorsqu’il existe des épisodes aigus de sinusites dites à risque de complication grave.
Les dysfonctions du larynx expliquant une partie non négligeable des toux chroniques, l’exploration morphologique et fonctionnelle laryngée est souvent utile mais « d’une grande complexité », souligne le Pr Guilleminault. D’où l’importance de l’interrogatoire pour suggérer le diagnostic (présence de toux à la parole, dysphonie ou hemmage). Réalisée par un médecin ORL phoniatre, l’exploration laryngée a pour but d’éliminer une cause motrice et/ou sensitive ou fonctionnelle.
Si ces explorations poussées ne donnent pas de résultats ou si la toux persiste malgré une cause identifiée et traitée, la grande nouveauté est l’apparition du concept de toux chronique réfractaire ou inexpliquée (TOCRI), qui demande une prise en charge spécialisée. « Le fait de désigner cette maladie réduira l’errance diagnostique et thérapeutique », espère Laurent Guilleminault.
TOCRI, quand la toux résiste ou reste inexpliquée
La toux chronique non soulagée, appelée toux chronique réfractaire ou inexpliquée – ou TOCRI – « représente près d’un quart des cas de toux chronique », estime le Pr Guilleminault.
Pour évoquer ce diagnostic, la toux chronique doit avoir fait l’objet d’un suivi bien conduit depuis au moins six mois et répondre à l’un des deux critères suivants. Le premier est qu’aucune cause ne soit retrouvée malgré une exploration extensive orientée par la clinique et qui comporte a minima un interrogatoire exhaustif, une nasofibroscopie ORL, une radiographie de thorax et une spirométrie. Le second est que la toux ne soit pas améliorée malgré une prise en charge optimale de causes cliniquement évidentes de toux chronique.
Il n’existe à ce jour aucun médicament spécifique. Mais la situation pourrait bientôt changer avec l’arrivée espérée en 2024 en France des antagonistes des récepteurs P2X3, exprimés dans les nerfs sensoriels périphériques et le noyau du tractus solitaire.
En attendant, dans un contexte de TOCRI, les neuromodulateurs sont recommandés en cas de répercussions majeures de la toux : l’amitriptyline, la prégabaline ou la gabapentine. « En cas d’échec, la morphine à faible dose (5 à 10 mg de sulfate de morphine 2 fois/jour) ne doit pas faire peur, rassure Laurent Guilleminault, avec parfois un soulagement inestimable. »
Les composés à base de menthol contrôlent ponctuellement la toux. La codéine, les antitussifs et l’azithromycine sont déconseillés car inefficaces et associés à des effets secondaires. La méditation pleine conscience est une technique qui peut être proposée aux patients tousseurs chroniques.
Enfin, « la prise en charge orthophonique fonctionnelle spécialisée dans le domaine, lorsqu’elle est accessible, est recommandée en cas de TOCRI du fait de la dysfonction du larynx, précise Laurent Guilleminault. C’est aussi le cas des programmes de kinésithérapie avec rééducation ventilatoire, très utiles aux patients, à raison de quatre séances sur un ou deux mois ».